Face à l’évolution de la finance décentralisée (DeFi — Decentralised Finance), les deux univers parallèles que sont les banques traditionnelles centralisées et les banques décentralisées commencent à se rapprocher. Rivo Uibo, cofondateur de Tuum, fait le point sur l’essor des cryptomonnaies et de la DeFi, et explore la manière dont les banques commencent à s’impliquer, ainsi que les avantages qu’elles peuvent en tirer.
L’intérêt que suscite la finance décentralisée, terme générique employé pour désigner les services financiers de pair à pair (P2P) basés sur la blockchain publique ou toute autre technologie de grand livre décentralisé, connaît depuis deux ans une forte progression. D’après une étude réalisée par le cabinet KPMG pour le compte de l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), en janvier 2022, 8 % de la population adulte française ont investi dans des cryptoactifs (cryptomonnaies et NFT, jetons non fongibles).
Ce nouveau système monétaire a été essentiellement mis en place pour fonctionner en toute indépendance vis-à-vis des intermédiaires financiers traditionnels que sont les banques, les bourses et autres courtiers. Toutefois, face à l’intérêt croissant que manifestent les particuliers pour les cryptomonnaies, ce nouveau système commence à éveiller l’attention des institutions bancaires, au point que de plus en plus d’établissements cherchent à entrer dans la danse.
Pourquoi un tel intérêt ?
Il ne fait guère de doute que la numérisation des services bancaires, accélérée par la pandémie, a encouragé les particuliers à se montrer plus conciliants vis-à-vis de nouvelles méthodes. À mesure qu’elle poursuit son évolution, la finance décentralisée devrait se rapprocher des banques traditionnelles. De la même manière et tout en poursuivant leur processus de transformation numérique, les banques devraient se montrer davantage disposées à étudier de nouvelles façons de prêter de l’argent et d’investir pour leurs clients, y compris dans le cadre de la DeFi.
La finance décentralisée est un environnement non réglementé où les taux d’intérêt sont intégralement déterminés par le marché et où il n’existe aucune forme de notation de crédit ou de vérification de l’accessibilité financière, de sorte que son intégration aux portefeuilles de services bancaires traditionnels n’est pas sans soulever certains problèmes. Cependant, nous assistons à une hausse des appels à la règlementation et à la surveillance des cryptomonnaies par les pouvoirs publics, ce qui inciterait les banques à explorer ce secteur dès lors qu’un cadre plus concret aura été défini. Par ailleurs, le fait que les banques centrales envisagent d’utiliser des monnaies numériques montre que les cryptomonnaies ont franchi un palier et que l’avenir des banques passera selon toute vraisemblance par la cohabitation de la finance numérique et la finance fiat classique.
Que pensent les particuliers de cette implication de leur banque ?
C’est l’une des raisons qui poussent les banques à adopter la DeFi. En effet, de plus en plus de particuliers attendent que leur établissement s’implique dans ce processus. Selon une récente étude réalisée par la Financial Conduct Authority (FCA) au Royaume-Uni auprès d’un millier de particuliers âgés de 18 à 40 ans ayant investi dans un ou plusieurs produits à haut risque, un grand nombre des personnes interrogées n’étaient pas conscientes des risques qu’induit un investissement dans la DeFi. Cette étude indique notamment que la majorité de ces investisseurs (69 %) ont cru à tort que cette opération était réglementée par la FCA et qu’elles ignoraient tout de l’absence de protection et du risque pour leur argent. De même, une enquête menée en janvier 2021 par NYDIG, une plateforme technologique américaine qui propose des services liés au bitcoin, indique que 46 millions d’Américains possèdent des bitcoins et que 81 % d’entre eux souhaitent les conserver dans leur banque s’ils en ont la possibilité. En France, toujours d’après l’étude réalisée par KPMG pour le compte de l’Adan, 60% des français envisageant d’acquérir des bitcoins sont motivés par la recherche de rendement, tandis que 12% citent l’absence de confiance dans les banques comme principale raison.
Quels sont les aspects de la finance décentralisée qui intéressent les banques, et pourquoi ?
La finance décentralisée autorise la prestation d’une large gamme de services, du commerce au financement des échanges internationaux (trade finance), des assurances aux prêts de pair à pair (P2P) en passant par les investissements. Pour les banques traditionnelles, les façons de s’impliquer ne manquent pas.
Certaines institutions commencent d’ailleurs à créer des fonds cotés en bourse (ETF) DeFi pour offrir des produits d’investissement classiques qui suivent le marché des cryptomonnaies. Bien que cette offre ne soit pas exclusivement basée sur les cryptomonnaies, l’émergence des fonds cotés en bourse souligne l’orientation que prend le marché. Plus importants, des partenariats unissent des banques et des start-ups du secteur financier (fintech), par exemple entre la bourse de cryptomonnaie Bitstamp et la société estonienne de services bancaires et financiers LHV. Ce partenariat permet à LHV de négocier des cryptomonnaies (crypto trading) en s’appuyant les moyens dont dispose Bitstamp pour fournir à ses clients une solution de trading facile à utiliser.
Pour sa part, la startup fintech britannique Revolut propose depuis 2017 des services de transfert et d’échange de cryptomonnaies à 15 millions de clients et détient près de 600 000 € (500 000 £) en cryptomonnaies pour le compte de ses déposants. L’année dernière, la société déficitaire a gagné plus de 46 millions d’euros (39 m£) sur ses investissements en cryptomonnaies, la demande suscitée par ses services numériques ayant fait bondir son chiffre d’affaires de 34 %. En outre, l’explosion du chiffre d’affaires réalisée grâce aux cryptomonnaies a permis à Revolut de compenser le ralentissement de son cœur de cible — à savoir les transactions par carte —, lequel avait été durement touché par les confinements de 2020. Revolut est le parfait exemple d’une banque qui s’est aventurée sur le terrain de la DeFi et en récolte les bénéfices sans s’écarter de ses activités métier, la banque et les paiements.
De quelles technologies les banques ont-elles besoin pour proposer des services DeFi ?
La finance décentralisée fonctionne sur des plateformes de blockchain telles qu’Ethereum qui permettent de traiter des transactions en temps réel. Les plateformes bancaires traditionnelles sont incompatibles avec les chaînes de blocs. Par conséquent, les établissements qui utilisent une technologie classique et souhaitent adopter le système de DeFi vont devoir mettre leur infrastructure à niveau. Les banques ont besoin d’une technologie bancaire ultramoderne, capable d’effectuer des transactions automatiquement et en temps réel, ainsi que de processus entièrement numérisés tels que la notation des risques numériques, la notation de crédit ou les taux bancaires en temps réel. Elles ont également besoin d’une plateforme reposant sur une architecture modulaire qui leur donne la possibilité de créer des services reliant les opérations de la blockchain à leur cœur de métier. Les services bancaires DeFi déployés au sein de la blockchain peuvent ainsi communiquer avec la technologie et les opérations bancaires ordinaires qui ont lieu en dehors de la chaîne de blocs.
Quel avenir pour la finance décentralisée dans le secteur bancaire ?
Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure les banques se rallieront à la finance décentralisée. À l’image d’autres tendances qui animent le secteur des services financiers, une préoccupation considérée comme marginale aujourd’hui peut se transformer demain en une opportunité centrale. Cependant, compte tenu des faiblesses de la DeFi, de l’absence de règlementations et de mécanismes de sécurité qui rendent son utilisation à la fois complexe et décourageante, ainsi que des risques élevés d’escroquerie et de l’interface pour le moins déroutante des plateformes d’échange de cryptomonnaies, ce sont les banques qui, in fine, disposent de la crédibilité et de l’expérience nécessaires pour surmonter certains de ces obstacles, mais aussi du potentiel pour nourrir la croissance de la finance décentralisée. Pour les banques, le défi est double : apporter un certain niveau de contrôle à cet espace encore non réglementé, tout en adoptant un nouvel état d’esprit et une approche innovante qui leur permettront de capitaliser sur cette transformation structurelle de rupture pour jouer un rôle actif (et rentable) dans l’avènement de cette nouvelle manière de faire leur métier.
L’intérêt que suscite la finance décentralisée, terme générique employé pour désigner les services financiers de pair à pair (P2P) basés sur la blockchain publique ou toute autre technologie de grand livre décentralisé, connaît depuis deux ans une forte progression. D’après une étude réalisée par le cabinet KPMG pour le compte de l’Association pour le développement des actifs numériques (Adan), en janvier 2022, 8 % de la population adulte française ont investi dans des cryptoactifs (cryptomonnaies et NFT, jetons non fongibles).
Ce nouveau système monétaire a été essentiellement mis en place pour fonctionner en toute indépendance vis-à-vis des intermédiaires financiers traditionnels que sont les banques, les bourses et autres courtiers. Toutefois, face à l’intérêt croissant que manifestent les particuliers pour les cryptomonnaies, ce nouveau système commence à éveiller l’attention des institutions bancaires, au point que de plus en plus d’établissements cherchent à entrer dans la danse.
Pourquoi un tel intérêt ?
Il ne fait guère de doute que la numérisation des services bancaires, accélérée par la pandémie, a encouragé les particuliers à se montrer plus conciliants vis-à-vis de nouvelles méthodes. À mesure qu’elle poursuit son évolution, la finance décentralisée devrait se rapprocher des banques traditionnelles. De la même manière et tout en poursuivant leur processus de transformation numérique, les banques devraient se montrer davantage disposées à étudier de nouvelles façons de prêter de l’argent et d’investir pour leurs clients, y compris dans le cadre de la DeFi.
La finance décentralisée est un environnement non réglementé où les taux d’intérêt sont intégralement déterminés par le marché et où il n’existe aucune forme de notation de crédit ou de vérification de l’accessibilité financière, de sorte que son intégration aux portefeuilles de services bancaires traditionnels n’est pas sans soulever certains problèmes. Cependant, nous assistons à une hausse des appels à la règlementation et à la surveillance des cryptomonnaies par les pouvoirs publics, ce qui inciterait les banques à explorer ce secteur dès lors qu’un cadre plus concret aura été défini. Par ailleurs, le fait que les banques centrales envisagent d’utiliser des monnaies numériques montre que les cryptomonnaies ont franchi un palier et que l’avenir des banques passera selon toute vraisemblance par la cohabitation de la finance numérique et la finance fiat classique.
Que pensent les particuliers de cette implication de leur banque ?
C’est l’une des raisons qui poussent les banques à adopter la DeFi. En effet, de plus en plus de particuliers attendent que leur établissement s’implique dans ce processus. Selon une récente étude réalisée par la Financial Conduct Authority (FCA) au Royaume-Uni auprès d’un millier de particuliers âgés de 18 à 40 ans ayant investi dans un ou plusieurs produits à haut risque, un grand nombre des personnes interrogées n’étaient pas conscientes des risques qu’induit un investissement dans la DeFi. Cette étude indique notamment que la majorité de ces investisseurs (69 %) ont cru à tort que cette opération était réglementée par la FCA et qu’elles ignoraient tout de l’absence de protection et du risque pour leur argent. De même, une enquête menée en janvier 2021 par NYDIG, une plateforme technologique américaine qui propose des services liés au bitcoin, indique que 46 millions d’Américains possèdent des bitcoins et que 81 % d’entre eux souhaitent les conserver dans leur banque s’ils en ont la possibilité. En France, toujours d’après l’étude réalisée par KPMG pour le compte de l’Adan, 60% des français envisageant d’acquérir des bitcoins sont motivés par la recherche de rendement, tandis que 12% citent l’absence de confiance dans les banques comme principale raison.
Quels sont les aspects de la finance décentralisée qui intéressent les banques, et pourquoi ?
La finance décentralisée autorise la prestation d’une large gamme de services, du commerce au financement des échanges internationaux (trade finance), des assurances aux prêts de pair à pair (P2P) en passant par les investissements. Pour les banques traditionnelles, les façons de s’impliquer ne manquent pas.
Certaines institutions commencent d’ailleurs à créer des fonds cotés en bourse (ETF) DeFi pour offrir des produits d’investissement classiques qui suivent le marché des cryptomonnaies. Bien que cette offre ne soit pas exclusivement basée sur les cryptomonnaies, l’émergence des fonds cotés en bourse souligne l’orientation que prend le marché. Plus importants, des partenariats unissent des banques et des start-ups du secteur financier (fintech), par exemple entre la bourse de cryptomonnaie Bitstamp et la société estonienne de services bancaires et financiers LHV. Ce partenariat permet à LHV de négocier des cryptomonnaies (crypto trading) en s’appuyant les moyens dont dispose Bitstamp pour fournir à ses clients une solution de trading facile à utiliser.
Pour sa part, la startup fintech britannique Revolut propose depuis 2017 des services de transfert et d’échange de cryptomonnaies à 15 millions de clients et détient près de 600 000 € (500 000 £) en cryptomonnaies pour le compte de ses déposants. L’année dernière, la société déficitaire a gagné plus de 46 millions d’euros (39 m£) sur ses investissements en cryptomonnaies, la demande suscitée par ses services numériques ayant fait bondir son chiffre d’affaires de 34 %. En outre, l’explosion du chiffre d’affaires réalisée grâce aux cryptomonnaies a permis à Revolut de compenser le ralentissement de son cœur de cible — à savoir les transactions par carte —, lequel avait été durement touché par les confinements de 2020. Revolut est le parfait exemple d’une banque qui s’est aventurée sur le terrain de la DeFi et en récolte les bénéfices sans s’écarter de ses activités métier, la banque et les paiements.
De quelles technologies les banques ont-elles besoin pour proposer des services DeFi ?
La finance décentralisée fonctionne sur des plateformes de blockchain telles qu’Ethereum qui permettent de traiter des transactions en temps réel. Les plateformes bancaires traditionnelles sont incompatibles avec les chaînes de blocs. Par conséquent, les établissements qui utilisent une technologie classique et souhaitent adopter le système de DeFi vont devoir mettre leur infrastructure à niveau. Les banques ont besoin d’une technologie bancaire ultramoderne, capable d’effectuer des transactions automatiquement et en temps réel, ainsi que de processus entièrement numérisés tels que la notation des risques numériques, la notation de crédit ou les taux bancaires en temps réel. Elles ont également besoin d’une plateforme reposant sur une architecture modulaire qui leur donne la possibilité de créer des services reliant les opérations de la blockchain à leur cœur de métier. Les services bancaires DeFi déployés au sein de la blockchain peuvent ainsi communiquer avec la technologie et les opérations bancaires ordinaires qui ont lieu en dehors de la chaîne de blocs.
Quel avenir pour la finance décentralisée dans le secteur bancaire ?
Il est encore trop tôt pour savoir dans quelle mesure les banques se rallieront à la finance décentralisée. À l’image d’autres tendances qui animent le secteur des services financiers, une préoccupation considérée comme marginale aujourd’hui peut se transformer demain en une opportunité centrale. Cependant, compte tenu des faiblesses de la DeFi, de l’absence de règlementations et de mécanismes de sécurité qui rendent son utilisation à la fois complexe et décourageante, ainsi que des risques élevés d’escroquerie et de l’interface pour le moins déroutante des plateformes d’échange de cryptomonnaies, ce sont les banques qui, in fine, disposent de la crédibilité et de l’expérience nécessaires pour surmonter certains de ces obstacles, mais aussi du potentiel pour nourrir la croissance de la finance décentralisée. Pour les banques, le défi est double : apporter un certain niveau de contrôle à cet espace encore non réglementé, tout en adoptant un nouvel état d’esprit et une approche innovante qui leur permettront de capitaliser sur cette transformation structurelle de rupture pour jouer un rôle actif (et rentable) dans l’avènement de cette nouvelle manière de faire leur métier.